samedi 26 décembre 2009

Il faut sauver le soldat science fiction

Il n'échappera à personne aujourd'hui que la fantasy fonctionne mieux que la SF. Interrogeons nous sur ce déclin relatif de la SF :
- Le post modernisme : aujourd'hui la mode est à la rupture. Rompre avec les idéologies mais aussi rompre avec la littérature, la narration, les sciences humaines. Il faut déconstruire. Ne plus se placer dans la continuité de ceux qui nous ont précédé.
- Le paradigme technologique si l'on en croit Régis Debray est en train de devenir un paradigme de droite alors que pendant longtemps il a été un paradigme de gauche. Du cas Dantec jusqu'au thème du transhumain on se rend compte qu'une partie de la hard science devient une littérature de droite. Les exceptions (Egan, Reynolds, Watts) sont une sorte de chant du cygne, les hérauts d'une mort annoncée qui en écrivent les dernières belles pages tout en cédant malheureusement aux sirénes du post modernisme.

Comment sauver la SF :
En réconciliant sciences humaines et sciences exactes. Aujourd'hui l'approche anthropologique a tout pour être la voie royale que ce soit pour explorer les futurs proches ou lointains. Il y a des signes avant coureurs de ce changement : l'anthologie Shine de Jetse de Vries traitant des futurs proches de manière optimiste par exemple. Et dans des revues comme Interzone ou Asimov's on fait la part belle aux récit privilégiant l'approche anthropologique. Bref il faudrait traduire chez nous des auteurs comme Elisabeth Bear ou Liz Williams au lieu de la sempiternelle hard science. Cette volonté de résistance à un certain abatardissement avec la fantasy exprimé par l'introduction des sciences humaines affichée par une partie du milieu est des plus malvenue. Ils ratent une occasion historique.

mercredi 2 décembre 2009

Le sense of wonder et la nature ludique des littératures de l'imaginaire.

La science fiction et la fantasy sont souvent considérées comme des littératures pour adolescents attardés. Nous pouvons nous demander si cet état de fait n’aurait pas quelque chose à voir avec une éventuelle nature ludique de ces littératures. En effet Freud nous dit : “ L’occupation la plus chère et la plus intense de l’enfant est le jeu. Peut - être sommes nous autorisé à dire que chaque enfant qui joue se comporte comme un poète dans la mesure où il se crée un monde propre.” Et le psychanalyste rajoute plus loin : “ L’opposé du jeu n’est pas le sérieux mais la réalité.” Nous allons ici envisager un type particulier du jeu : l’enfant dans sa chambre s’invente une histoire, un monde et la fait interpréter à l’aide de jouets - figurines, maquettes, peluches. On peut se demander si l’enfant n’a pas le même comportement que l’auteur de science fiction ou de fantasy. Ce dernier en effet crée une véritable construction intellectuelle en tout point comparable à jeu de construction et il y place divers éléments à qui on pourrait donner la nature de jouets. Nous verrons donc comment le récit imaginaire peut être assimilé à ce jeu de construction. Nous étudierons la nature des jouets utilisés et comment ils sont articulés avec la structure assemblée par l’auteurs. 1- Les littératures de l’imaginaire un jeu de construction. Chez l’enfant le jeu présuppose un passage du je au il (ce que l’on appelle un débrayage énonciatif). Or les littératures de l’imaginaire présentent des récits se déroulant dans des lignes spatio temporelles alternatives connectées ou non avec notre réalité. L’auteur en se projetant dans cet espace temps alterisé commet un acte comparable à un débrayage énonciatif. Venons en au jeu de construction lui même. Le sémioticien Nicolas Couégnas a défini une typologie du jeu de construction que l’on peut utiliser pour définir notre objet. Le jeu de construction va donc se définir par ce qu’il appelle des moments d’unité. Nous aurons donc des moments d’unité : - Plastique : l’on s’intéresse uniquement à la compatibilité entre formes - Pragmatique : les différents éléments auront entre eux des relations hiérarchiques - Eidétique : l’on crée un objet identifiable - Sémantique : la cohérence des éléments est dictée par les règles d’une univers particulier, porteur de sens. Les briques que l’auteur de fiction imaginaire va emboîter ce seront des éléments figuratifs. Nous trouverons d’une part des éléments spatiaux et temporels, d’autre part des éléments socioculturels. La construction obéira principalement à des moments d’unités pragmatiques, sémantiques et eidétiques. Sémantiques car le récit va créer son propre contexte et ce contexte sera créé par la juxtaposition d’éléments figuratifs, pragmatique car l’univers crée se doit d’être cohérent, eidétique enfin car pour que l’on puisse se l’approprier l’on doit pouvoir en donner une vision d’ensemble. 2 Les jouets L’auteurs va manier deux types de jouets. - D’une part les jouets actoriels : Ce sont les personnages du récit. Notons que l’auteur de littératures de l’imaginaire n’est pas le seul à manier ses personnages comme des figurines dans un décor. C’est le cas de toute la littérature populaire qui privilégie l’action, donc un récit centré sur la narration qui s’embarrasse peu d’autres considérations. - Il existe un deuxième type de jouets propre aux littératures de l’imaginaire. Nous les appelleront les jouets figuratifs. Il s’agit des éléments de l’imagerie propre à chacun des trois genres de l’imaginaire. Ces éléments d’imagerie vont former le niveau superficiel de la figurativité du texte. Chaque genre à donc son imagerie propre : la science fiction (le vaisseau spatial, le robot, l’extra terrestre, le mutant, l’intelligence artificielle...), la fantasy (le dragon, le magicien, l’elfe....), le fantastique (le vampire, le loup garou...). Mais la comparaison avec le jouet et notamment l’univers des figurines ne s’arrête pas là. En effet l’auteur peut créer une véritable conversion à partir de différents éléments d’imagerie. Il peut aussi customiser un éléments déjà existant en le rendant méconnaissable. Et enfin il peut utiliser un jouet d’un des trois genre dans un autre en le customisant. Mais ces jouets vont également faire partie des briques du jeu de construction. Ils vont former le niveau superficiel de la suite figurative. Pour s’approprier le récit le lecteur lui aussi devra se livrer à un acte de débrayage énonciatif. C’est cet acte de débrayage qui va faire passer le lecteur du statut de simple assistant à celui d’assistant participant si nous suivons la typologie des différentes catégories d’observateurs de Jacques Fontanille. La première chose à laquelle va se heurter le lecteur c’est justement l’imagerie. Nous pouvons comparer le récit imaginaire à une citadelle assiégée. Les jouets figuratifs forment le premier niveau de défenseurs. Et lecteur s’il veut prendre l’oeuvre-citadelle doit se les approprier. C’est une fois qu’il réussi à contrôler ce premier niveau qu’il pourra s’immerger dans l’univers créé par l’auteurs. Dans le ça contraire il y aura rejet de l’oeuvre. En fait on pourrait presque dire que l’auteur a effectué une action de codage et que lecteur doit décoder pour comprendre. Le lecteur va en effet se retrouver face à l’univers de l’auteur projeté sur un écran du paraître. Le lecteur devra donner vie au texte, donner un être à ce qui n’est que paraître. C’est d’ailleurs dans cette opposition être / paraître que se trouve la base du rejet pour la SF. Celui qui rejette le genre n’y voit que les apparences chères à Platon. Tandis le lecteur de SF lui va s’efforcer de croire à la réalité de ce monde des apparences. Nous avons posé le décor et les acteurs. Maintenant nous allons voir quelles sont les règles du jeu. Le jeu d’enfant mentionné plus haut est un jeu fiction dans lequel l’enfant metteur en scène va créer des interactions entre différents jouets qui sont tous censés jouer un rôle. L’auteur de littérature de l’imaginaire, lui va créer des interactions entre les différents jouets qu’il met en scène. Ces programmes narratifs vont permettre aux acteurs d’être en conjonction ou en disjonction avec des objets de valeurs. Certains jouets ont une valeur multiple. En effet l’extra terrestre ou le mutant par exemple sont à la fois des éléments d’imagerie et des personnages. En tant qu’éléments individuels ils sont acteurs mais lorsqu’ils sont pris de manière collective ils deviennent jouets figuratifs. L’auteurs de littérature d’imaginaire possède une grande lattitude d’action. En effet les interactions qu’il crée ne sont pas limitées par la mimésis. La seule frontière à son action c’est le respect de la cohérence de son univers. Cette particularité peut l’amener à fréquenter les sentiers de l’improvisation surtout s’il a créé un univers extrêmement riche en acteur et en éléments d’imagerie. 3 - Et le sense of wonder dans tout ça. Les jouets figuratifs en tant que niveau superficiel de la suite figurative sont reliés à tous les autres éléments de ce niveau du texte. Si l’on admet que tous les éléments figuratifs, toutes ces briques patiemment assemblées forment un super actant, les jouets en seront les éléments qui vont en assurer la cohérence. Ce seront eux notamment qui vont provoquer l’effet d’émerveillement. Ce sera d’autant plus vrai que les personnages seront régulièrement en interaction avec eux et qu’ils feront l’objet de nombreux programmes narratifs. On remarquera que chez les auteurs de science fiction qui minimisent les jouets ou qui se refusent à les utiliser nous aurons pas d’effet de merveilleux. Bien souvent d’ailleurs le récit se limitera à des tensions entre personnages (le roman “Au bout du labyrinthe” de Philip K Dick en est un bon exemple). Nous nous rapprocherons de la littérature générale. Lorsque le critique Joseph Altairac nous dit que le futur lointain favorise le sense of wonder, nous pouvons l’expliquer par notre théorie. En effet ces textes là les éléments d’imagerie vont abonder et créer un émerveillement accru. Dans le fantastique les éléments d’imagerie évoluent dans un monde qui est le notre provoquant l’émerveillement par le contraste entre une réalité prosaïque et un élément surnaturel qui vient la remettre en cause. Aujourd’hui le fantastique traditionnel est remplacé par une forme de fantasy qui va traiter de notre monde à la manière d’un monde secondaire. En effet au lieu d’un élément surnaturel on va y trouver un continuum d’éléments qui vont provoquer un décalage entre notre monde et son reflet fantastique. On peut voir là, que les lecteurs d’aujourd’hui ont besoin de ce merveilleux. Enfin le merveilleux est indissociable de la fantasy. En effet on y trouve un véritable catalogue de jouets fabuleux. beaucoup d’auteurs arrivent même à créer les leur propre. Curieusement si ce genre est plus vendeur que les deux autres c’est peut être parce que c’est le plus vivant et celui où les jouets peuvent encore surprendre. Il est clair que depuis le milieu des années 90 la fantasy évolue et se détourne des schémas archétypaux sur lesquels elle s’était appuyée jusque là. Et que c’est depuis ce moment qu’elle connaît une ascension croissante dans le cœur des lecteurs. Pour paraphraser Freud nous dirons que l’opposé de l’imaginaire n’est pas le sérieux mais la réalité. Or la présence des jouets figuratifs est rebutante et l’effet de merveilleux qu’ils apportent est contraire à la réalité. Or il est clair que l’aspect ludique va - être beaucoup plus visible pour celui qui rejette le genre que pour l’amateur éclairé qui lui sait s’approprier un monde différent. Et c’est justement ce coté ludique qui va amener le merveilleux. Et ce n’est peut être pas un hasard si le jeu de rôle a engendré tout une génération d’auteurs de fantasy et quelques auteurs de SF. Ces gens là connaissaient un certain nombre de mécanismes ludiques. Ils n’ont fait que les appliquer à la littérature.